Counseling individuel, counseling de groupe

Introduction à la Journée d’études TRAVERSES 2021. Alain LEU

 

Je vais vous parler du counseling en commençant par parler de Traverses.

Traverses a 26 ans… Je vais raconter un peu l’histoire de Traverses…

A Traverses, nous avons commencé par travailler l’entretien de counseling, c'est-à-dire par être praticien, formateur, et superviseur en entretien. C’est notre base, c’est ce que nous ont transmis Conrad Lecomte et son équipe et que nous avons développé, approfondi, et adapté au contexte français. Puis progressivement, (les premiers pas ont eu lieu en 2006) nous avons développé le counseling de groupe dans le cadre des Analyses de Pratiques Professionnelles, de la supervision de groupe, puis de la Formation d’Intervenants en Analyse de Pratiques Professionnelles.

Ce déplacement de nos activités d’entretien vers un travail avec des groupes d’APP ou de supervision, coïncide avec l’accroissement des problématiques de souffrance liées, à l’organisation actuelle du travail. Lors de nos interventions, nous sommes régulièrement confrontés à la souffrance exprimée par les professionnels. Cette souffrance nous touche et nous questionne. Jusqu’où va notre engagement, comment aider les professionnels à résister face aux conditions de travail qui se dégradent ? Travailler cette question est l’objet de cette journée d’études.

Avant de s’engager dans cette problématique, je voudrais positionner le counseling tel que nous le pratiquons à Traverses. Ceci en 5 points.

 

  • Premier point : le counseling en entretien de face à face tel que nous le pratiquons à Traverses.

La posture qui a servi de base à notre travail est celle de l’entretien de counseling. Il me semble important de repréciser cette posture, car le terme counseling n’est pas toujours bien compris en France. Il pose des problèmes de traduction mais surtout questionne le champ, l’organisation professionnelle et la culture psychologique française.

En France, la formule d’Alexandre LHOTELLIER « tenir conseil » avec en sous titre « délibérer pour agir », a souvent été utilisée et nous même l’avons reprise pour tenter de faire comprendre ce que nous faisons en entretien. Il s’agit là, au moins partiellement, d’une erreur. Le counseling, tel que nous le pratiquons ne se réduit pas au « tenir conseil ». Cette notion de « tenir conseil » repose, en principe, sur une « relation dialogique » supposée « égalitaire »[1], dans laquelle, chacun (conseiller/consultant) fait valoir son point de vue, pour co-construire des solutions.

Ce n’est pas ce qui caractérise la relation d’entretien de counseling qui, de fait, (que le voulions ou non) est une relation « asymétrique » (au moins dans toute une partie importante des entretiens). Asymétrique dans le sens où le praticien se met au service du consultant pour l’aider à comprendre ce qui lui est difficile, au plan psychologique, dans la situation qu’il est amené à vivre et qui lui pose problème. Le principal objectif consiste à aider le consultant à identifier et conscientiser les conflits à l’œuvre et qui parasitent son action ou sa prise de décision (problèmes liés à une situation, à des cognitions inadaptées, à des conflits de valeurs, à des conflits interpersonnels, c'est-à-dire finalement à des conflits intrapsychiques).

Nous avons la plupart du temps à faire à des personnes qui sont prises dans une situation dans laquelle elles ne parviennent pas spontanément à « délibérer », c'est-à-dire à prendre leur place, faire valoir leur point de vue, dans une « relation dialogique ». Il n’est donc pas possible de dialoguer à égalité pour co-élaborer, surtout en début d’entretien. Il est d’abord question de s’approcher de la subjectivité du consultant (parfois très éloignée de la réalité) pour ensuite l’aider, autant que possible, à comprendre l’impact que la situation évoquée, a sur sa dynamique psychique. Il s’agit d’abord d’aider la personne à clarifier et comprendre les enjeux qui l’animent, afin de pouvoir ensuite, prendre les décisions qui sont les siennes en fonction de sa compréhension et de ses ressources. Ce type d’entretien se situe dans une approche clinique non pathologique, qui aide à développer la conscience de soi, afin de trouver, ou retrouver confiance à son expérience, pour ensuite mobiliser ses ressources pour avancer sur les difficultés rencontrées.

Il ne s’agit donc pas, sauf de manière marginale, avec certains consultants, de simplement « délibérer pour agir ».

Pour compléter, il faut préciser dans quelle direction travaille le professionnel du counseling : il repère et aide à mobiliser les atouts, les forces, les aspects positifs de l’état mental de la personne, quelle que soit l’importance du problème présenté. A noter, de plus, qu’il prend en compte des interactions personne-environnement plutôt qu’une centration exclusive soit sur la personne soit sur l’environnement.

En résumé, l’entretien de counseling constitue une pratique clinique, non thérapeutique, centrée sur la personne, qui la prend en compte à partir de sa subjectivité, en la considérant dans sa globalité et qui tient compte de son contexte. C’est une approche qui accorde de l’importance à la qualité de la relation afin d’aider le consultant, sans se positionner en expert sa place, à avancer face aux problématiques qu’il rencontre, en s’appuyant sur ses propres ressources et celles de son contexte.

 

  • Deuxième point : le counseling de groupe un travail complexe qui se fait dans le même esprit

C’est cette même approche et ce même sens, que l’on retrouve en counseling de groupe, c'est-à-dire, pour ce qui nous concerne : les Analyses de Pratiques Professionnelles, les supervisions de groupe et la Formation d’Intervenant en Analyse de Pratiques Professionnelles.

Cette approche clinique est complexifiée en groupe. De par la présence du groupe (il faut apprendre à travailler avec un groupe, savoir identifier et satisfaire les besoins psychologiques qui se manifestent en groupe) et par le fait que nous nous donnons dans ce cas, deux objectifs de travail. Le premier : aider au mieux le participant narrateur (comme on le ferait en entretien afin qu’il comprenne les enjeux qui l’animent dans la situation évoquée), le second : permettre que le groupe (en tant qu’entité) et chaque membre du groupe (en tant qu’individu), lors de ses interventions, comprenne et adopte les attitudes du counseling (particulièrement les attitudes de respect, de compréhension de l’autre et de non expertise).

Par ailleurs, notre travail avec des groupes prend place dans un contexte où l’on assiste à un développement exponentiel des groupes d’analyse de pratiques. Cela nous questionne sur la place qu’occupent ces groupes, les rôles qu’ils jouent, les contextes organisationnels dans lesquels ils se multiplient. D’autant que la plupart du temps nous sommes amenés à travailler en institutions avec des équipes qui se connaissent et qu’il y a toujours une certaine porosité entre l’espace propre au groupe d’analyse et l’institution globale. Quelle fonction souhaitons-nous avoir ? Mais surtout quelle fonction avons-nous réellement ? Malgré nous ? Cette problématique sera reprise au point 4.

 

  • Troisième point : le counseling tient compte du contexte

La prise en compte du contexte, ce que nous nommons dans l’argumentaire de cette journée d’études, « la personne et son indissociable contexte » constitue une dimension sociopolitique typique du counseling, présente dans notre pratique. Citons Catherine TOURETTE-TURGIS 1996 (p.16) « Le counseling ne peut pas être une voie facilitante du développement de la personne dans une culture qui ramène l'échec ou la souffrance à seulement une motivation individuelle plutôt qu'à des causes politiques, économiques et sociales. Il s'agit plus de modifier les structures sociales qui sont causes de souffrances pour les individus que de caractériser des individus comme non socialisés, instables, non intégrés. »« Il devient mal aisé, dans les années difficiles que la plupart des sociétés traversent, de séparer, sans se poser de questions, les problèmes d'une personne, du contexte social dans lequel elle vit. On peut même se demander à quelle efficacité peuvent prétendre les formes d'aide qui se prévalent de cette coupure. Le counseling à ce titre nous amène à une interrogation critique sur le statut que les praticiens de la relation d'aide accordent à la réalité. »

Un certain nombre de commandes institutionnelles qui s’adressent aux psychologues, sous forme de demandes de mise en place de groupes d’APP, souhaiteraient « psychologiser » les problèmes qui sont occasionnés par des contextes pathogènes ou au moins évacuer un peu de la souffrance qu’ils occasionnent. Nous avons la plupart du temps à faire avec des organisations du travail qui visent à une augmentation de la rentabilité quelle que soit le coup pour les professionnels.

Face à cela, la posture du counseling se situe du côté de la personne. Il faudrait savoir résister en tant que professionnel animant une APP, pour refuser de traiter les questions de travail, de santé, de difficulté sociale, comme de simples questions d’adaptation à la société, refuser « d’araser l’humain au profit des logiques comptables et marchandes » (Roland Gori). Résister n’est pas facile. C’est un de nos sujets du jour.

Résister c’est peut-être réussir à offrir un espace de liberté où pourra s’exprimer le participant à une séance d’APP, espace de liberté lui permettant de réfléchir « au gouvernement de soi » tout en tenant compte des autres et du contexte.

Cela questionne les limites de nos interventions. Notre posture lors des APP par exemple, n’est pas et ne peut pas être celle d’un militant qui va combattre les tendances malfaisantes de l’organisation sociale ou du travail. La séance d’APP n’est pas le lieu où s’allier aux participants en lutte, ou pour les encourager à contester. Notre objectif, dans ce cas, serait plutôt d’aider les personnes à comprendre et mesurer l’impact de cette organisation délétère sur leur dynamique psychique et les aider à réfléchir et trouver leur marge de manœuvre face à cette situation. A noter que cette attitude n’empêche pas d’adopter une posture militante par ailleurs, en d’autres lieux.

En résumé : le travail de counseling est bien un travail psychique qui aide à la compréhension de soi et du monde, de soi dans le monde. Il vise à une émancipation de la personne dans le respect des autres et du vivre ensemble. Mais c’est un travail difficile à tenir dans le contexte actuel.

 

  • Quatrième point : un contexte qui devient plus difficile

Notre évolution à Traverses a consisté à travailler de plus en plus avec des groupes de professionnels sous forme d’APP ou de supervision de groupe, ce qui nous rapproche des problématiques rencontrées dans le monde du travail et nous connecte directement à la souffrance au travail.

Parallèlement à notre évolution, le monde du travail des psychologues et des divers accompagnants avec qui nous travaillons, a évolué. L’organisation actuelle du travail, la gestion à dominante financière, de secteurs « normalement au service de la personne », la banalisation de l’injustice sociale, entrainent de plus en plus de souffrance psychique, chez les professionnels que nous rencontrons.

Les interventions des psychologues dans ce secteur sont en général des réponses aux commandes des institutions. Ces commandes peuvent être de nature perverses : par exemple faire semblant de se soucier de personnels, alors que, par ailleurs, dans le cadre de l’entreprise la maltraitance est la norme.

A Traverses, nous avons la chance d’être une association de formateurs occasionnels, ce qui nous permet, lorsque nous avons le sentiment d’être manipulé par un commanditaire qui maltraite ses salariés, de nous désengager. Cependant, cela n’est pas satisfaisant. Nous vivons avec une tension forte dans ce domaine : notre présence lors d’APP ou de supervisions, sert-elle de caution à certains employeurs, aide-t-elle vraiment les participants à mieux comprendre et mieux résister ? Bien qu’ayant conscience des problèmes, bien qu’ayant une posture au service des personnes, nous nous sommes jusque là abstenus d’intervenir au plan institutionnel pour interroger l’organisation du travail ou dénoncer une organisation délétère. Devons-nous aller plus loin ? Quid de notre souffrance éthique face à certaines situations ?

C’est là un des nœuds de la problématique de cette journée d’études.

 

  • Cinquième point : les compétences de l’intervenant en counseling

L’approche proposée par le counseling centré sur la personne repose sur des compétences multiples. 

La compétence de base consiste à savoir mener un entretien ou à animer un groupe en favorisant une relation qui va permettre aux participants de se sentir acceptés, reconnus, afin de parvenir à mobiliser leurs ressources pour avancer. Ce sont ces compétences spécifiques que nous travaillons à Traverses.

Cependant, en complément de cette base, un praticien du counseling, dans la mesure où il travaille non seulement au niveau de la subjectivité et de l’imaginaire mais autant au niveau de la réalité, a besoin de formation dans le domaine spécifique à son intervention (par exemple il doit avoir une expertise sur les problèmes d’insertion, d’organisation des formations, en orientation, etc.). Savoir tenir compte du contexte c’est remplir une fonction d’accompagnement à la fois psychologique et social. Pour se faire, le professionnel doit être à même de donner des repères (et non pas des conseils) aux personnes avec qui il travaille.

Pour répondre à cette nécessité, face à des situations de souffrance au travail, il nous a semblé important d’enrichir nos compétences à ce sujet. Il nous a semblé que la psychodynamique du travail pouvait nous aider, nous éclairer. A la fois pour mieux intervenir face à des situations difficiles, donc mieux aider les participants et aussi pour nous aider nous-mêmes, à avancer sur cette problématique de notre engagement aux côtés des personnels qui vivent des situations professionnelles délétères.

C’est dans ce sens que, pour cette journée d’études, nous avons fait appel à Antoine Duarte, spécialiste de la psychodynamique du travail pour nous aider à réfléchir et à mieux nous armer face à ces problématiques.

[1] Le terme dialogique, utilisé par Mikhaïl BAKHTINE souvent employé par Alexandre LHOTELLIER, et par les tenants du life designing (SAVICKAS, GUICHARD) fait référence à la capacité de faire valoir son point de vue, de confronter, d’affronter l’autre dans une relation constructive, ce qui n’est pas spontanément le cas pour de nombreux consultants.